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Clairettego douap douap redux
17 juillet 2008

Psychiatrie et chansons

Un soir, à la consultation externe, près de l'accueil des urgences, un homme se présente. Je l'installe dans le box (eh oui, on est tous appellés à être installés dans un box...). Le monsieur est venu avec sa femme qui l'a visiblement contraint à consulter. A voir son faciès crispé, les rides de son front contracté, les yeux vides, l'apathie du corps; je devine que celui-là est dépressif. Pas manqué, il présente tous les signes. Il a une cinquantaine d'années.
Parler semble un calvaire; en voîlà un qui n'a pas été habitué à se raconter. Je me borne d'abord à lui demander les signes connus de la dépression pour juger de la gravité de son état. Troubles importants du sommeil, perte de poids, anhédonie etc etc... Il est bien dedans. Tout lui est source d'angoisse: le vent qui souffle et qui pourrait emporter le toit, la porte qui grince et qui sous-entend la crainte du voleur, le poids qu'il représente pour son entourage.... C'est le gouffre, l'impasse totale! Le type a un accent gouailleur. Cheveux gris et courts. Fils unique ayant repris l'entreprise familiale par défaut, difficulté conjugale, avec la même compagne depuis toujours, ces propos soulignent une culpabilité profonde: ne pas être à la hauteur, regrets, il fait le bilan de sa vie, au lendemain de la fin de sa vie professionnelle... Je comprends qu'il faisait de la moto, aimait la vitesse; il n'en fait plus car il a peur maintenant, Et pourtant, ses yeux pétilleraient presque lorsqu'il me parle de se prises de risque. Le flux passe, la relation d'aide fonctionne mais l'adhésion à des soins (croire qu'il est possible de s'en sortir, en gros) n'est pas encore là. Survient le médiateur chanson, le déclic. Le type me dit:

_ Vous savez, j'ai pas choisi mon métier mais j'y ai réussi. J'ai gravi petit à petit les échelons et j'ai fait grossir l'entreprise. Je me suis investit dedans jusqu'au bout; on me faisait confiance...etc etc...(...)
Et là, me brûlant les lèvres, n'en pouvant plus mais réalisant la prise de risque que je prenais... Eh oui, est-il de bon ton de faire un trait d'humour en tête-à-tête avec un dépressif en plein épanchement? Comment peut-il le prendre lui qui n'a qu'une crainte, c'est de vous embêter avec ss problèmes, avec susceptibilité? ou au contraire peut-il y être réceptif et du coup adhérer à la relation? Je me dis que je frôle le mauvais goût, ca passe ou ca casse...
_ Vous auriez voulu être un artiste????

Et là, le type me répond en me regardant dans les yeux pour la première fois depuis le début de l'entretien: "un jockey". Et il enchaîne sur cette passion totalement inassouvie... Il est difficile de décrire la sensation que j'ai pu ressentir; la chanson de Starmania semblait tout exprimer de l'histoire et de l'état intérieur de cet homme. Du coup, tout semblait mis à plat entre nous 2: j'aurai voulu être un artiste agissait comme une goupille de grenade. Ce n'est pourtant pas grand chose mais l'entretien prenait, à travers la chanson une dimension existencielle des plus intenses avec une grande transparence en terme de sensibilité. Troublant.
Je me souviens d'une autre fois où une chanson permit un degré d'empathie intense. Femme, déprimée, contexte de solitude etc... Elle me dit: "Vous connaissez la chanson de Barbara, "le mal de vivre"?" Elle me faisait entrer dans son ressenti, dans sa réalité déformée par le prisme de la dépression, dans ses abysses de sensibilité. J'ai trouvé cela éminemment fort.

C'est magnifique que des artistes aient pu exprimer cela par des chansons ou des mots. Et voîlà donc la force de l'oeuvre d'art; universelle et personnelle.

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